Gérer les interdépendances planétaires: comment en finir avec des sociétés à irresponsabilité illimitée

Editorial - Newsletter 4 - Décembre 2018

Pierre CALAME, diciembre 2018

En plein milieu de la tenue de la COP24 en Pologne (la 24e Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques – démarrée lundi 3 décembre 2018), un constat s’impose. La tâche principale de la COP24 consiste à élaborer un ensemble de décisions garantissant l’application de l’Accord de Paris, engagé lors de la COP21, en 2015.

Or, sans changement de référentiel intellectuel, peu de chances de relever les défis du 21ème siècle. La formule de Einstein, «n’imaginons pas résoudre un problème dans les termes qui lui ont donné naissance» s’avère plus juste que jamais. Jusqu’à présent, on a reculé pour mieux sauter mais on n’a pas sauté : on reste avec les mêmes recettes, les mêmes cadres de pensée, en espérant qu’avec quelques aménagements ça passera. Mais ça ne passe pas.

On ne gérera pas les interdépendances planétaires en voyant dans les Etats souverains l’alpha et l’oméga des relations internationales. A ce jour, seuls 13 % des Etats respectent la feuille de route des engagements volontaires pris à Paris en 2015, dont la somme nous amenait déjà à près de trois degrés de réchauffement. Car qui dit Etat souverain dit en pratique irresponsabilité à l’égard du reste du monde. Pas d’issue sans l’adoption d’une Déclaration universelle des responsabilités humaines assignant à chaque acteur une responsabilité proportionnelle à son pouvoir.

Les rudiments actuels du droit international se sont édifiés sur la base des droits humains ; mais peut on imaginer sérieusement qu’on pourra sur la même base édifier le droit international de l’avenir, pour gérer les interdépendances entre les sociétés et entre l’humanité et la biosphère ?

On ne sauvera pas plus le climat avec les vieilles recettes. Le gouvernement français est en train de faire l’expérience des limites de la taxation du carbone : le budget énergie des pauvres est plus limité que celui des riches mais la part de l’énergie dans leur budget est, lui, bien plus élevé et qui plus est c’est une consommation contrainte. Résultat, les 10 % les plus pauvres sont 2,7 fois plus touchés par la taxe carbone, en proportion de leur revenu, que les 10 % les plus riches. La seule solution est que les peuples et, au sein de chaque Etat, les populations les plus pauvres puissent vendre aux riches leur quota excédentaire d’énergie.

Mettre ‘du vin nouveau dans de vieilles outres’, on dirait qu’on ne sait faire que cela. Par paresse intellectuelle et par peur de l’inconnu ou du ridicule. Echouer avec les autres est moins risqué que d’affronter seul le vent du large.

Une embellie nous vient d’Europe. Une recommandation toute récente de la Commission européenne décrit la nouvelle manière de préparer et évaluer les politiques européennes, selon un cycle partant des expériences des territoires et y revenant. La même recommandation reprend aussi le principe de subsidiarité active pour gérer les relations entre niveaux de gouvernance.

Que l’on ne puisse pas payer avec la même monnaie, mesurer avec le même étalon ce qu’il faudrait épargner, l’énergie fossile, et ce qu’il faut au contraire développer, le travail humain ; que le seul régime de gouvernance répondant vraiment aux caractéristiques de l’énergie fossile soit celui des quotas négociables : cela finira par s’imposer contre les conformismes parce que c’est une évidence.

Les deux outils que j’ai développés vont dans le sens d’un changement du cadre conceptuel qui domine notre perception des défis actuels.

Mon « petit traité d’oeconomie », édité par les Editions Charles Léopold Mayer - en téléchargement libre sur www.eclm.fr, plaide pour un retour à l’«oeconomie». En 1755, l’Encyclopédie jette un « o » à la poubelle : ce qui s’appelait jusque-là « oeconomie » devient « économie ». En perdant son « o », l’économie perd aussi progressivement la mémoire de son sens premier (oïkos, maison, nomos, loi, règles de gestion de notre maison commune), et s’autonomise de la gestion du reste de la société jusqu’à présenter les lois qu’elle énonce comme des lois naturelles auxquelles on ne peut que souscrire. Mais aujourd’hui, l’humanité est confrontée à une exigence pressante : assurer le bien-être de tous dans le respect des limites de la planète.

Seul un retour à l’oeconomie peut permettre de concilier les nécessités économiques avec le fait incontournable que les ressources naturelles sont limitées, et c’est l’objet de ce petit traité. En assumant pleinement son étymologie, l’oeconomie devient ainsi la branche de la gouvernante qui s’applique aux domaines particuliers de la production, de la circulation et de la consommation de biens et de services. J’y démontre que c’est en revenant à cette notion qu’il sera possible d’assurer à la société la maîtrise collective et démocratique de son propre destin.

Le «petit traité d’oeconomie» est en train d’être publié en plusieurs langues, signe que tout le monde est las de voir se multiplier les critiques (justifiées) du système économique actuel sans une proposition sérieuse d’alternative. Mais à moins de vivre centenaire il est bien possible que je ne vois pas l’impact de mon vivant : il faut bien deux décennies pour que s’imposent des solutions de bon sens mais qui vont à rebours des idées reçues.

Autre idée simple : on ne saura pas gérer la complexité si on ne sait pas la représenter. Il faut donc disposer d’un outil commode de représentation des liens entre les questions et entre les politiques. Cet outil, c’est l’atlas relationnel

Allez faire un tour sur le site de «Cités, territoires, gouvernance», citego – www.citego.fr. Vous y découvrirez l’atlas et son usage, avec des cartes à grande échelle, qui donnent à voir le monde, et des cartes à petite échelle, qui en détaillent certaines parties. Avec l’atlas, j’aimerais donner corps à une vieille ambition : réunir les expériences d’où qu’elles viennent de territoires qui innovent ; dépasser les cloisonnements identitaires des multiples réseaux qui partagent la même intuition mais œuvrent chacun dans son coin.

Je mets d’ici la fin de l’année en chantier un second petit livre : «comment en finir avec des sociétés à irresponsabilité illimitée». Car telle est la réalité aujourd’hui : la somme des responsabilités de chacun, soigneusement délimitées, conduit en effet à l’irresponsabilité illimitée.

L’Alliance pour des Sociétés Responsables et Durables, réseau mondial étendu dans tous les continents, s’est engagée depuis des nombreuses années, à populariser ces principes en mettant à profit l’agenda international, pour en montrer la pertinence, en vue de la transition vers des sociétés durables. Cette newsletter, un parmi les outils de travail de l’Alliance, se veut la voix d’analyses sur la gestion des interdépendances planétaires et d’idées novatrices.

Bonne lecture !

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