La théorie de l’effondrement s’effondre
une critique de livre dans la revue ‘Sciences humaines’
Nicolas Journet, mars 2010
«Effondrement: chute radicale et durable du nombre, de l’organisation politique économique et sociale d’une population sur un large territoire donné.» Ainsi Jared Diamond, auteur du best-seller du même nom, définissait-il en 2005 la conséquence de l’acharnement des sociétés humaines, en se développant et se multipliant, à détruire leur environnement au point de se rendre la vie impossible. La leçon – cela va sans dire – valait une mise en garde pour aujourd’hui («le monde est un polder»), mais les plus fameux exemples analysés par J. Diamond étaient pris à un passé lointain et souvent exotique: l’île de Pâques (Rapa Nui) ravagée par ses propres habitants, le Yucatan rongé par les agriculteurs mayas, le désert du Nouveau-Mexique surexploité par les Indiens pueblos, les colonies du Groënland, mal habitées et vite abandonnées par les Vikings. Tous ceux-là, ayant fait de mauvais choix, ont détruit leur milieu, et en sont morts…
Les thèses de Jared Diamond réfutées
Questioning Collapse est une entreprise de réfutation en règle des thèses de J. Diamond par un collectif d’anthropologues et d’archéologues horripilés par le catastrophisme sélectif du biologiste de Los Angeles. Non, affirment en effet Carl Lipo et Terry Hunt, la société pascuanne, en dépit de la déforestation, n’a connu aucun déclin avant l’arrivée des Blancs (vers 1780). Non, les Mayas n’étaient pas des agriculteurs suicidaires: ils ont changé d’activité (Patricia Mc Anany), bougé au IXe siècle, et sont 7 millions aujourd’hui. Les Vikings, eux, ont tenu cinq cents ans au Groënland avant de se trouver mieux ailleurs (Joel Berglund).
Où était l’erreur? Trop hâtif, trop pressé d’étayer sa thèse, J. Diamond voit des «effondrements» là où il n’y en a pas. C’est bien l’avis de ces spécialistes, qui en appellent d’abord à une connaissance plus complète de l’histoire. Mais au-delà, c’est toute l’intention de cette œuvre, son arrière-plan, ses implications qui visiblement ne passent pas à leurs yeux. La notion même d’effondrement, telle que définie par J. Diamond, n’est pas acceptable, car elle accuse d’aveuglement environnemental des civilisations disparues, mais exonère la colonisation par l’Occident, au nom du fait que les Amériques et l’Australie sont effectivement plus peuplées qu’avant. Oui, mais par qui? J. Diamond fait le procès du développement chinois d’aujourd’hui. Oui, mais pourquoi? Pour éviter de faire celui des pays les plus riches.
Responsable de répandre des thèses sélectives et unilatérales, J. Diamond est donc soupçonné de promouvoir une vulgate méprisante pour les perdants de l’histoire, qui certes met en garde la civilisation occidentale contre le risque d’autodestruction, mais fait le constat de son succès et, au fond, lui renouvelle sa confiance.
A la mémoire des peuples autochtones
Indiscutablement, P. Mc Anany, Norman Yoffee et les autres ne sont pas de cet avis: pour eux, le risque de catastrophe environnementale est une réalité toute neuve, précisément liée à cette civilisation-là qui a – plus que le dit J. Diamond – précipité la destruction des autres.
On appréciera, en lisant ce livre, la capacité des chercheurs anglo-saxons à porter le fer là où il doit l’être, et même un peu au-delà. Car, même si le débat soulevé dans Questioning Collapse garde une haute tenue scientifique, on est un peu surpris de constater que son enjeu est aussi celui du respect dû à la mémoire des peuples autochtones d’Amérique et d’ailleurs, que certains auteurs invitent à ne pas entamer.
Questioning Collapse. Human resilience, ecological vulnerability and the aftermath of empire, Patricia A. Mc Anany et Norman Yoffee (dir.), Cambridge University Press, 2010, 374 p.